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Génie civil

Chaque nouvelle automobile peut être considérée comme un concentré de génie humain, associant le meilleur des technologies du moment. Ceci est encore plus le cas lorsqu’il s’agit d’une auto de course imaginée en temps de guerre, comme cette avant-gardiste Wanderer W25 « Stromlinie Roadster Spezial »…

Texte et photos Thomas Riaud

« Donnez-moi dix ans et vous ne reconnaîtrez plus l’Allemagne ». Ces paroles tristement prophétiques d’Hitler se sont réalisées dans l’horreur absolue. Lors de la chute de Berlin, nombreuses sont les usines à se retrouver du « mauvais côté », sous contrôle russe, à commencer par le groupe Auto Union AG, sorte de GM à la sauce allemande. Créée de toute pièce en 1932, la galaxie Auto Union – dont le sigle représente 4 anneaux entrelacés – regroupe alors Audi, Horch, DKW et Wanderer. L’idée de base était de mettre en place des synergies technologiques entre ces entités, afin de réduire les coûts de production pour démocratiser l’automobile auprès du bon peuple allemand… et accessoirement concurrencer la toute puissante Mercedes-Benz. Un beau projet encouragé par Hitler lui-même, qui fit sensation à l’ouverture du salon de l’automobile de Berlin 1933 lors d’un discours fleuve, en annonçant des exonérations fiscales sur les nouvelles voitures, et la création immédiate d’autoroutes. Une vision qui allait rapidement se faire rattraper par la pénurie de matière première, la priorité absolue étant donnée à la Wehrmacht pour se motoriser. Mais malgré tout, l’Allemagne nazie, gagnée par cette euphorie vrombissante, se range toute entière derrière son führer.

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› A la fin des années 30, grâce aux progrès de l’aviation, l’automobile en profite en applique les principes de l’aérodynamisme, donnant naissance à des lignes profilées, comme sur cette Wanderer de course.

Et si la primauté est donnée à la construction d’engins de guerre, le régime soutient directement les F1 Mercedes et Auto Union – les fameuses « Flèches d’Argent » – d’incroyables machines à la pointe de la technologie devenues, malgré elles, des outils de la propagande nazie. Avec succès il faut bien le dire, y compris pour le jeune groupe Auto Union, dont son département « compétition » est installé, depuis sa création en mars 1933, à Zwickau. Outre les classiques épreuves de vitesse sur circuit, d’autres disciplines ont la cote à l’époque, notamment celles d’endurance et les courses longues distances. C’est précisément dans cette dernière catégorie « marathon » que Wanderer veut briller. La marque s’est lancée dès 1922 dans la fameuse Targa Florio, mais outre la réputée course des Alpes, elle caresse l’espoir de se distinguer au célèbre rallye Liège-Rome-Liège, devenu un must depuis sa création en 1931. Ce périple réputé très exigeant de 4700 km traverse en effet les Ardennes, les Alpes et les Dolomites, et réclame plus de 100 heures de pilotage à la vitesse moyenne de 50 km/h, avec pour seuls arrêts autorisés les ravitaillements en carburant. Pour vaincre « le roi des rallyes » Wanderer va mettre au point, sous la houlette de son ingénieur en chef August Momberger, un véritable sport-prototype. Il s’agit de la W25 Sromlinie Roadster Spezial que vous avez sous les yeux, une rareté construite à 3 exemplaires seulement, engagée dès l’édition 1938…

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› C’est le grand pilote Rinaldo Capello, triple vainqueur aux 24 H du Mans sur Audi, qui s’est vu confier le volant de cette rareté sur la piste centenaire de Linas-Montlhéry.

Résurrection

Eludons tout de suite un point important aux yeux des puristes que nous sommes : le sublime exemplaire présent dans ces pages (comme deux autres existant d’ailleurs), est une parfaite réplique que l’on doit à D’Ieteren et à Audi Tradition, le département en charge du patrimoine de la marque aux Anneaux. Car si vous êtes familier avec la géographie allemande, il ne vous aura pas échappé que Zwickau se situe précisément à l’Est du pays, une zone qui s’est retrouvée sous occupation russe assez longtemps pour que les usines encore debout soient pillées dans les règles, jusqu’aux outils de production. Que sont devenues ces Wanderer ?

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› Engagée en 1938, la Wanderer W25 Stromlinie Roadster Spezial est une barquette aérodynamique ultralégère qui a été construite par le département « compétition » à seulement 3 exemplaires. 

Elles ont été vendues à des pilotes privés, et après-guerre, on n’a retrouvé la piste que de l’une d’entre elles. Celle-ci a été fortement modifiée, puis complètement détruite lors d’une course en 1951. Quant aux deux autres exemplaires, le mystère reste entier… Mais pas question de bouder notre plaisir, surtout qu’Audi Tradition a eu la bonne idée de nous convier à découvrir sa barquette sur le circuit mythique de Linas-Montlhéry, en la présence de Rinaldo Capello, un pilote triple vainqueur aux 24 H du Mans sur Audi. Avant d’être invité à faire un tour du circuit routier en « sac de sable » (NDLR : en passager !), j’ai tout le loisir d’approcher sans aucune contrainte la bête. Dans les paddocks du circuit, elle a fière allure et prend toute sa dimension en évoquant immanquablement les fameuses Flèches d’Argent avec sa livrée unie gris métallisé.

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Afin de mettre en commun le maximum d’éléments techniques déjà existants, Wanderer a pioché quelques pièces maîtresses dans la formidable banque d’organes du groupe Auto Union. Son châssis tubulaire spécial, léger et rigide, provient ainsi d’un tout-terrain DKW, les freins d’une W-23 et le 6 cylindres en ligne (conçu par Porsche) réalésé à seulement 2.0 litres de cylindrée, d’une puissante W-25K de série. Pour gagner en fiabilité, le moteur se voit débarrasser de son compresseur, et aligne une puissance modeste de 70 ch. C’est peu, mais le Roadster Stromlinie compense ce déficit en recevant une carrosserie inédite, taillée pour fendre les airs. Celle-ci, d’une étonnante modernité, est déjà de type « ponton » en intégrant parfaitement ses phares carénés, et pour optimiser l’aérodynamisme, outre un pare-brise très incliné elle bénéficie d’ailes enveloppantes, donnant de jolis galbes à l’ensemble, qui s’achève sur un arrière profilé. Afin d’emmener l’équipage à une vitesse respectable, donnée à 160 km/h, l’ensemble ne pèse que 900 kg grâce à l’emploi massif de l’aluminium. Contrairement aux avant-gardistes Auto Union à moteur central arrière, mises également au point par Ferdinand Porsche, la Stromlinie reste très classique en architecture, puisque cette propulsion voit son moteur placé longitudinalement, à l’avant. « Dindo » me donne le « go » et m’invite à sauter dans le siège voisin, positionné très bas, au ras du châssis. Puis il démarre et empoigne le frêle levier de vitesses en aluminium : il va enfin pouvoir tirer la substantifique moelle de sa monture…

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› L’intérieur, assez dépouillé et spartiate, est bien celui d’une voiture de course !

L’école de la légèreté

Cruel dilemme… Dès les premiers tours de roue, mon regard est partagé entre le pilotage savant de Dindo, mais aussi les virages qui arrivent bien vite à travers l’étroit pare-brise, tout en lorgnant vers le gros compte-tours enchâssé dans le superbe tableau de bord en aluminium bouchonné. Etonnamment, celui-ci n’est gradué que jusqu’à 6000 tr/mn, et le début de la zone rouge, fixé à seulement 3200 tr/mn, évoque plus un 4×4 diesel qu’une barquette de course. Mais sans jamais aller au-delà de 4500 tr/mn, la svelte et compacte Stromlinie (4m23 de long) s’en tire avec les honneurs, en virevoltant avec agilité d’un virage à l’autre, sans prendre de roulis. Je vois bien que Dindo, agrippé au grand cerceau à 3 branches, déploie tout son art pour conserver une trajectoire idéale entre deux changements de vitesse, mais la voiture semble obéir au doigt et à l’œil, et ne pas subir les transferts de masse. Une prouesse à mettre au crédit de son poids-plume, qu’un certain Colin Chapman n’aurait pas renié !

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› Malgré sa faible puissance, cette Wanderer tire son épingle du jeu en compensant grâce à sa remarquable légèreté.

C’est déjà la fin de mon tour de « manège », et c’est avec un sourire béat jusqu’aux oreilles que j’ouvre la frêle porte échancrée pour m’extirper de l’habitacle. A n’en pas douter, cette barquette est petite par la taille, mais grande par ses qualités, et je ne peux m’empêcher de penser à ses faits d’armes. Car à l’époque, dès son premier engagement au Liège-Rome-Liège, les Wanderer avaient fait forte impression en menant la course… jusqu’à l’abandon de l’équipage de tête à seulement 30 km de l’arrivée. Il est vrai que à peine plus d’un tiers des participants a franchi la ligne d’arrivée, soit seulement 21 sur 51 autos engagées, dont les deux Wanderer survivantes (4e et 12e place) ! L’affront sera lavé l’année suivante, les trois Stromlinie Roadster Spezial parvenant à finir l’épreuve et à remporter la « coupe des constructeurs ». Une belle revanche que la marque aura à peine le temps d’apprécier. Dix jours plus tard, l’Allemagne entrait en guerre, scellant le destin de ces incroyables et méconnus roadsters Wanderer et de tant d’autres…

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L’avis d’Avus

Impossible de donner ici la moindre impression de conduite, le rôle de votre serviteur s’étant restrient à celui de passager. Il n’empêche, cela reste une belle expérience, surtout que l’engin aura été mené de mains de maître dans ses derniers retranchements par un pilote de renom. Ce qui est sûr, c’est qu’en dépit de sa faible puissance, cette Wanderer « spezial » à la ligne étonnamment moderne est taillée pour la vitesse, en combinant aéro record et poids plume. Des qualités rares, toujours de mise de nos jours sur les meilleures voitures…
Merci à Audi France et Audi Tradition pour leur confiance et disponibilité.

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On aime:
• Ligne avant-gardiste
• Légèreté
• Exclusivité !

On aime moins:
• Introuvable !
• Puissance un peu juste

Fiche technique Wanderer W25 Stromlinie Roadster Spezial 1938:
Moteur : 6 cyl. en ligne essence, 1963 cm3
Puissance (ch à tr/mn) : 70 à 4500
Couple (Nm à tr/mn) : NC
Transmission : boîte manuelle à 4 rapports, aux roues arrière
Dimensions (L x l x h en m) : 4,23 x 1,65, x 1,28
Capacité du réservoir (en litres) : NC
Pneus AV-AR : 235/75 R 15
Poids à vide (kg) : 900
0 à 100 km/h (sec) : NC
Vitesse maxi (km/h) : 160

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