Dossier 60 ans d’Audi, (1975 – 1985) La « méthode Piëch »

Une marque automobile est peu de choses si elle n’a pas, aux commandes, un vrai capitaine d’industrie qui a une « vision » claire pour son avenir avec, à la clé, des innovations et un vrai « plan-produit ». On l’a vu, le succès de la première décennie de l’histoire moderne d’Audi doit, bien sûr, aux importants capitaux de Volkswagen, mais, aussi et surtout, aux travaux du brillant ingénieur Ludwig Kraus. Pour cette seconde décennie, on assiste à l’arrivée à la tête du bureau d’études d’un certain Ferdinand Piëch, fraîchement débarqué de chez Porsche pour ses prises de risque et son insubordination (il avait développé en catimini la fabuleuse 917 !). En arrivant chez Audi, Piëch n’a qu’une seule obsession : hisser la marque aux anneaux au niveau des meilleurs, et montrer ce dont il était capable. Avec le recul, la « méthode Piëch » va s’avérer d’une redoutable efficacité : Audi va gagner en notoriété partout dans le monde et même devenir « bankable ».

1976 (Audi 100 « C2 ») : confirmer l’essai

Lorsque Piëch arrive chez Audi début 1976, l’Audi 100 de seconde génération est déjà figée, et se voit lancée sur le marché à l’été 1976. Bien que bâtie sur le châssis de son aînée, cette nouvelle 100 « type C2 » s’en démarque par un style nettement plus moderne, même si le classicisme reste de mise. Quoique, une inattendue version « Avant », plus proche de la berline à hayon que du break tel que nous le connaissons. Celle-ci vient judicieusement compléter la gamme en apportant une touche d’originalité et de praticité, encore bien rare sur ce segment. Piëch, à qui Porsche doit le légendaire « Flat 6 » de la 911, va surtout œuvrer pour concevoir un tout nouveau moteur. Il songe à un innovant 5 cylindres, un bloc censé être plus souple et puissant qu’un 4 cylindres, mais aussi plus sobre et compact qu’un 6 cylindres. Bref, le meilleur des 2 mondes ! Symbole d’innovations et d’une belle maîtrise des technologies de pointe, ce bloc de 2144 cm3 va se voir doté d’une injection et développer 136 ch – une belle puissance en 1978 – année de sa commercialisation. Le succès est immédiat, et ce 5 cylindres plébiscité par la clientèle, va enterrer dès l’année suivant le classique 4 cylindres 2.0 litres de 115 ch. Mieux, Audi va introduire une déclinaison diesel à la sobriété exemplaire. Avec cette 100 « C2 », Audi va confirmer avec brio l’essai, puisqu’elle sera vendue à près de 900 000 exemplaires jusqu’à son retrait, en 1982.

1978 (Audi 80 « B2 ») : la surdouée d’Ingolstadt

Pétrie de qualités, la première 80 a permis à Audi de se faire un nom en remportant le titre envié de « voiture de l’année 1973 ». Avec cette seconde mouture lancée en septembre 1978, actualisée sur le plan de style, Audi va s’inscrire dans la durée, et même effectuer une jolie percée sur le marché américain. Mais le bon Docteur Piëch va administrer un traitement de choc à la 80, en la dotant dès 1981 du fameux 5 cylindres « maison » de 136 ch, le tout bien servi par la fameuse transmission intégrale quattro inaugurée par l’Ur quattro (voir chapitre suivant). Ainsi, grâce à son poids-plume de seulement 1040 kg (et ce malgré une finition rigoureuse qui fait déjà autorité), l’improbable 80 quattro parvient à accrocher sans coup férir les 195 km/h chrono, et à offrir une sécurité active encore jamais vue en conditions difficiles, une tenue de route diabolique qui échappe complètement à ses rivales directes, pourtant plus prestigieuses (Mercedes 190 et BMW Série 3). Cette petite surdouée s’écoulera dans le monde à plus de 1 650 000 exemplaires, surpassant nettement sa devancière.

1979 (Audi 200) : un pavé dans la cour de BMW et Mercedes

Bien décidé à hisser Audi vers des sommets, Piëch va développer – à peu de frais – une berline spécifique haut de gamme : la 200. Lancée en août 1979, cette dernière doit en effet énormément à l’Audi 100 C2 du moment, avec qui elle partage l’essentiel de la carrosserie. Pour marquer sa montée en gamme et s’en différencier, elle reçoit tout de même un avant sensiblement modifié, agrémenté d’une calandre spécifique nantie de 4 phares carrés, un spoiler prenant place sous le pare-chocs. L’arrière bénéficie de feux horizontaux spécifiques de taille majorée, tandis que de belles jantes en alliage de 15 pouces sont livrées de série. L’intérieur est lui aussi bien plus valorisant, en disposant d’une belle sellerie en velours et même de petits coussins livrés avec la voiture. Mais c’est sous le capot que cette 200 marque clairement sa différence, en adoptant le 5 cylindres maison, poussé au moyen d’un énorme turbo KKK à 170 ch ! De quoi dépasser les 200 km/h chrono et de chasser, de la file de gauche, les BMW et Mercedes plus paresseuses. Bien que dépourvue de la transmission intégrale quattro, l’Audi 200 séduit par ailleurs par son comportement très sûr, bien aidé par la présence de 4 disques, un ABS étant même livré à partir de 1981. La 200 marque la première étape vers le premium pour Audi, et elle sera produite à un peu plus de 51 000 exemplaires jusqu’en 1982…

1980 (Audi quattro) : la révolution 4 saisons

La légende raconte que lors de tests « grand froid » de la 100 C2 en Laponie, en la compagnie des rivales directes de l’époque, la météo était si épouvantable que toutes les voitures, tractions ou propulsions, ne pouvaient plus avancer. Toutes, sauf le VW Iltis de l’assistance, un petit tout-terrain doté d’une transmission intégrale permanente. L’histoire est remontée jusqu’aux oreilles de Ferdinand Piëch, qui avait déjà été impressionné par les qualités routières d’une petite japonaise méconnue du grand public, fabriquée alors par Subaru. Afin de marquer un grand coup, et de faire d’Audi une marque leader en matière de technologies de pointe (et bousculer BMW et Mercedes), le feu vert est donné pour l’étude d’une voiture de tourisme à transmission intégrale. En seulement 30 mois, celle qui deviendra la « quattro » est développée sur la base de la grosse 200. Le 5 cylindres 2144 cm3 20 soupapes est poussé à 200 ch, tandis qu’une transmission compacte et sophistiquée, composée de 3 différentiels répartissant la puissance entre les essieux, est intégrée à la voiture. Le tout est habillé d’une carrosserie de grand coupé à la ligne anguleuse et sans fantaisie, excepté la présence d’ailes bombées (un gimmick repris ensuite bien plus tard sur les BMW M3 et Lancia Delta HF) et d’un grand aileron. C’est ainsi que l’Audi quattro est présentée en mars 1980 au salon de Genève… dans l’indifférence quasi-générale !

A l’époque, personne ou presque ne remarque cette voiture pourtant révolutionnaire, qui va durablement faire entrer Audi dans la légende. Afin de faire connaître au grand public les atouts de cette technologie novatrice, Piëch sait, mieux que quiconque, que la compétition au plus haut niveau est un excellent moyen. C’est donc en rallye – une discipline populaire aux retombées mondiales – que la quattro fait ses débuts, à travers une cellule Audi Sport inédite supervisée par Walter Treiser et Roland Gumpert. La suite, vous la connaissez… Avec une véritable « dream team » comptant Hannu Mikkola, mais aussi Michèle Mouton, Stig Blomqvist (puis Walter Rhörl), la quattro va réaliser un véritable hold-up en raflant 23 victoires et deux couronnes (pilotes et constructeurs). A partir de 1983, la concurrence a réagi en engageant en Groupe B des autos plus jeunes, plus performantes et dotées d’une technologie similaire (Peugeot 205 T16, Lancia Delta S4), obligeant Audi à répliquer avec la Sport quattro S1, plus compacte et bien plus puissante. On va assister à de véritables duels au sommet entre les constructeurs, jusqu’aux multiples drames conduisant à l’interdiction des Groupe B en 1986. Qu’importe : Piëch a largement remporté son pari, faisant d’Audi une marque premium et branchée, dotée de surcroît d’un beau bagage technologique. Si l’élitiste Ur quattro ne sera produite jusqu’en 1911 qu’à 11 451 exemplaires, l’autre coup de génie de Piëch sera de décliner cette transmission magique sur les autres modèles de la gamme (y compris la petite 80, mais aussi un coupé plus accessible), apportant au client une vraie valeur ajoutée. Depuis, le quattro est Audi et Audi est le quattro.

1982 (Audi 100 C3) : dynamique des fluides

Si Piëch n’a pas pu trop bousculer la genèse de la 100 de seconde génération (qui était quasi-figée lors de son arrivée au bureau d’études en 1976), ce n’est pas le cas de cette troisième mouture (type C3) lancée en 1982, avant-gardiste à bien des égards. Cela commence d’abord par le style, d’une incroyable modernité, où l’aérodynamisme prend clairement le pouvoir. Ce parti-pris présente bien des avantages, comme optimiser la vitesse de pointe, tout en contenant la consommation. Une ligne fluide déclinée bien sûr en berline, mais aussi en un sublime break Avant, donnant ses lettres de noblesse à ce genre pourtant habituellement décrié. Pour asseoir le succès prévisible de cette grande routière (élue « voiture de l’année 1983 »), Piëch va lui offrir le meilleur, comme le 5 cylindres « maison », mais aussi, sur les versions les plus puissantes, la transmission intégrale quattro. Restylée en 1988, la 100 « type C3 » va connaître une carrière très honorable pour une auto de ce segment, en étant produite à plus de 900 000 exemplaires jusqu’en 1990. Ceci sans compter les 87 000 exemplaires du luxueux et puissant dérivé « 200 » équipé du 5 cylindres 20V de 220 ch déjà vu sur les derniers Ur quattro…

Avus:
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