Concept AVUS 1991, Déclaration d’intention

Rien n’avait filtré, rendant la découverte encore plus belle. C’est à la surprise générale qu’Audi a dévoilé, au Salon de Tokyo 1991, l’incroyable Concept Avus. Un prototype bien éloigné de l’image de la marque et qui, pourtant, adresse un message sans ambiguïté sur le futur proche de la marque aux Anneaux…

Par Jack Seller, photos Joseph Bonabaud et Tibo

En bref

Concept-car Avus, fabriqué à 2 exemplaires
Structure et carrosserie en aluminium (ASF)
Moteur W12 6.0 de 509 ch
Perf : 340 km/h – 0 à 100 km/h en 3 sec

Parfois, de la rancœur, de l’injustice et de l’humiliation peuvent naître de grandes et belles choses. C’est du moins la leçon que peut nous adresser ce concept-car baptisé Avus, en référence au nom du célèbre circuit berlinois où les Auto-Union (et les Mercedes) régnaient sans partage avant-guerre sur le monde de la compétition automobile. Une écrasante domination sur la concurrence dont a toujours rêvé le génial Ferdinand Piëch, autant ingénieur automobile de talent que visionnaire éclairé. A la fois petit-fils du célèbre Ferdinand Porsche, mais aussi cousin de Ferry Porsche, il a eu longtemps un rôle ingrat, en étant né « dans la mauvaise branche de la famille ». Pourtant, il fera ses armes chez Porsche, en étant affecté au département compétition. Contre l’avis de la famille Porsche, il développera en catimini la formidable 917, ce sport-prototype qui avait au moins 10 ans d’avance sur la concurrence, devant permettre à la marque de briller à nouveau en Endurance, et notamment au Mans.

Le développement très coûteux de cette voiture hors-norme (plus de 380 km/h en vitesse de pointe !), très légère et aérodynamique, plongera les comptes de Porsche dans le rouge. Lorsque Piëch dévoilera au directoire en mars 1969 les 25 prototypes construits alignés dans la cour (pour obtenir l’homologation de la FIA), la sanction sera à la hauteur de sa désobéissance, et il sera débarqué dans la foulée, sans préavis. Pour le punir, il est écarté de Porsche et muté au bureau d’étude d’une petite marque sans envergure appartenant au groupe Volkswagen, du nom d’Audi. Cela va être le début pour Piëch d’une longue et minutieuse « remontada » orchestrée pas à pas par ses soins. Il est vrai que la vengeance est un plat qui se mange froid…

Message personnel

Pourtant, l’Histoire donnera raison à Piëch. En juin 1970, la 917 triomphe au Mans, et pulvérise même le record de distance parcourue l’année suivante, en alignant 5335 km à la moyenne vertigineuse de 222 km/h (un record qui ne tombera qu’en… 2010 !). Aux USA également, elle fera régner la terreur sur les circuits en CanAm, le 12 cylindres à plat délivrant alors jusqu’à 1100 ch, ne laissant aucune chance à ses adversaires ! Nous sommes au milieu des Années 70, et Piëch tisse lentement sa toile, en capitalisant sur le succès de la petite Audi 80, élue voiture de l’année 1973 (devant la Renault 5), et en développant un inédit moteur à 5 cylindres. A l’époque, il n’est pas encore question d’aller concurrencer Porsche, mais plutôt de se hisser dans le premium, au niveau de BMW et Mercedes. En 1979, tout s’accélère, avec le lancement de l’ambitieuse Audi 200 Turbo, dotée justement du 5 cylindres maison, mais gavé par un gros turbo. Avec 170 ch, la 200 Turbo offre des performances de premier ordre, et devient l’une des berlines de série les plus rapides au monde. L’année suivante, Piëch frappe un grand coup en lançant la révolutionnaire Audi quattro.

Convaincu de par son passé chez Porsche que la meilleure des promotions reste la compétition, il engage la voiture en Championnat du Monde des Rallyes, avec le succès international que vous connaissez. Au milieu des années 80, Audi développe la transmission intégrale quattro sur l’ensemble de la gamme, et ne fait plus sourire BMW et Mercedes. Clairement, la marque aux Anneaux a gagné en respectabilité, et même en prestige, la confidentielle Sport quattro (214 exemplaires) se payant le luxe d’être affichée au prix d’une Ferrari. Mais ce n’est pas assez pour Piëch, qui vise plus haut. Bien plus haut ! Autant passionné de vitesse, de performance que de technique, Piëch caresse le rêve de lancer une supercar Audi, capable cette fois de rivaliser avec les meilleurs, dont Porsche. Il fait mettre alors en chantier une auto incroyable, dont le style nous renvoie au temps glorieux où les Auto-Union (mises au point par… Ferdinand Porsche !), écrasaient la concurrence sur tous les circuits européens. Dont celui, iconique, de l’Avus, redoutable avec son banking de briques dont l’inclinaison atteint… 43° ! Un vrai « mur de la mort » lorsque les flèches d’argent déboulaient dessus à près de 300 km/h ! C’est précisément ce nom chargé d’histoire qui est retenu pour baptiser le nouveau concept Audi, dévoilé au salon de Tokyo 1991…

Miroir, miroir…

Brillante comme un miroir la supercar Avus, posée sur d’immenses roues de 20 pouces, met en avant sa plastique de rêve en faisant volontairement l’impasse sur toute peinture. Après tout, pourquoi cacher ce qui est beau ? C’est surtout un moyen judicieux de montrer aux yeux de tous qu’Audi se tourne vers une inédite structure ASF (Audi Space Frame), constituée majoritairement d’un alliage à base d’aluminium, gage de rigidité et de légèreté. Cette « peau » en aluminium poli, entière façonnée à la main ne pèse qu’une cinquantaine de kilos (52 pour être précis), et se trouve boulonnée sur un châssis tubulaire en treillis pesant à près le même poids. Et cela n’a rien d’un délire d’ingénieur, dans la mesure où ce procédé « ASF » sera repris par la première A8, lancée en grande série en 1994, puis par l’A2 et – dans une certaine mesure – par le TT de seconde génération ! D’ailleurs, rien n’est gratuit sur cette voiture de rêve de 4m42 de long, un vrai laboratoire d’idées qui préfigure la prochaine supercar R8, mais aussi un peu la… Bugatti Veyron, une marque de prestige que Piëch rachètera en 1998 ! D’ailleurs, la face avant évoque par certains aspects l’allure de la future Bugatti, mais aussi sa silhouette, avec son poste avancé et son fantastique moteur placé longitudinalement en position centrale arrière, comme sur une 917.

Et quel moteur ! Bien mis en valeur sous une verrière, tel un joyau dans une vitrine, il s’agit d’un énorme W12 6.0 (obtenu en associant trois 4 cylindres), délivrant quelques 509 ch (et 540 Nm). De quoi propulser cette flèche d’argent à 340 km/h, le 0 à 100 km/h étant avalé en 3 secondes tout juste, soit un temps inférieur à celui d’une R8 V10 Performance ! Si ce moteur ne connaîtra pas, en l’état, les joies de la série, il ne sera pas non plus jeté pour autant aux oubliettes, l’A8 finissant par hériter elle aussi d’un W12 6.0 litres dans sa version la plus haut de gamme. Bien sûr, l’Avus concept utilise, comme toutes les Audi sportives, une transmission intégrale quattro, une spécificité technique de la maison lui assurant une motricité et efficacité sans faille. Et l’agilité n’est pas en reste, grâce à la présence (déjà !) d’un essieu arrière auto-directionnel. Mais sa plus belle prouesse reste son poids, limité à seulement 1250 kg. Pourtant, ce supercar biplace offre un haut niveau de confort, avec un habitacle qui ne manque de rien. Les portes s’ouvrant en élytre permettant un accès plus aisé dans l’habitacle, le toit culminant à seulement 1m17 de haut. Un toit largement en verre, donnant au cockpit avancé des airs de verrière, une prise d’air NACA venant habiller son sommet. Le traitement de l’intérieur a en revanche pris un coup de vieux, avec un ensemble de matériaux nobles qui ne vont pas avec l’esprit de cette auto, orientée vers les performances. L’ensemble évoque plutôt une GT cossue, en mêlant du cuir (gris et rouge pour les sièges), des boiseries (autour de la platine du levier de vitesses) et de la laine.

L’avis d’Avus

Fabriqué à 2 exemplaires (dont un prototype roulant), le spectaculaire concept Avus aura été un vrai marqueur dans l’histoire d’Audi… au point de nous avoir donné l’envie de baptiser de ce nom évocateur votre magazine préféré ! Au-delà de cet aspect, malgré son avant-gardisme, l’Avus préfigurait assez fidèlement ce que le regretté Ferdinand Piëch avait rêvé pour Audi, chose qu’il aura connue de son vivant avec le lancement de la supercar R8. Une auto incroyable, offrant des performances vertigineuses tout en préservant une étonnante polyvalence. Bref, enfin une Audi capable de donner la réplique à… Porsche ! Et, ironie de l’histoire, Piëch arrivera à faire développer et fabriquer la RS2 chez Porsche ! Oui, la vengeance est un plat qui se mange froid, et il est encore meilleur lorsqu’il offre les saveurs d’une supercar du rang de la R8.

On aime

Ligne incroyable
Moteur fabuleux
Poids contenu
Performances stratosphériques

On aime moins

Indisponible à la vente
Traitement « kitch » de l’intérieur

Audi Avus Concept 1991

Moteur : 12 cyl. en W, 5998 cm3, 48 soupapes
Puissance (ch à tr/mn) : 509 à 5800
Couple maxi (Nm à tr/mn) : 540 à 4000
Transmission : intégrale quattro, boîte mécanique à 6 rapports
Freinage : 4 disques ventilés – ABS
Dimensions L x l x h (m) : 4,42 x 1,97 x 1,17
Poids à vide (kg) : 1250
Pneus : 225/60 ZR 20
Vitesse maxi (km/h) : 340
0 à 100 km/h (sec.) : 3,0

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